César Vayssié
À la croisée des pratiques, César Vayssié mène un travail sur l’image sous forme de films et de performances qui se branchent sur l’énergie du corps dansant, son engagement physique et sa charge politique. Filmeur turbulent, engageant son regard à l’endroit de la fabrique du mouvement, il collabore avec de nombreux artistes chorégraphiques comme Boris Charmatz, Philippe Quesne, François Chaignaud ou Olivia Grandville. Au sein du projet Mille Plateaux, César Vayssié développera le laboratoire Faune, chantier de création ouvert aux chorégraphes souhaitant prolonger leur travail sur le corps par le biais de l’image. Conçu comme une boîte à outils pour penser la danse et ses débordements imaginaires comme un geste créatif à part entière, Faune et son site d’exposition, www.ifaune.net, visent à irriguer la réflexion du centre chorégraphique d’une multitude de rhizomes, débordant sur l’espace numérique et articulant histoire du cinéma et histoire de la danse.
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Rencontre avec César Vayssié
Réalisateur de films sur la danse mais aussi de performances, vous vous qualifiez de chorégraphe ignorant. Comment la danse est venue travailler votre rapport à l’image ?
Ce qui m’intéresse, c’est le processus de la danse. Au contraire du processus cinématographique qui passe souvent par un long cycle, l’écriture d’un scénario, la production, la diffusion, le processus chorégraphique permet une forme d’immédiateté. À partir du moment où des corps sont mobilisés, à chercher des gestes, des façons d’écrire par le mouvement, quelque chose advient. C’est de cette manière que j’ai envie de faire des films. Par ailleurs, dans mon travail de filmeur de danse, il y a une espèce d’évidence dans la relation au mouvement, la corrélation entre le mouvement du danseur et le mouvement de la caméra. J’ai commencé à faire des duos avec des danseurs, Olivia Grandville notamment, comme une façon de les filmer sans caméra. Et au fil des années, j’ai développé une vraie relation de filmeur, danseur parmi les danseurs. J’aime être dedans, avec eux, d’une autre manière.
Le projet Faune que vous allez développer au sein du CCN Mille Plateaux propose un laboratoire de création filmique pour les artistes chorégraphiques. Quel est l’enjeu à penser la danse en lien avec l’image ?
Le laboratoire Faune va proposer les moyens de réaliser un objet filmique, des outils simples pour faire de l’image et du son, ainsi qu’un accompagnement sur tout ce qui concerne les réseaux et le numérique, parce que c’est un aspect qui nous paraît important à Olivia et à moi. Ce sera un peu le 999e plateau de Mille Plateaux. Il s’agit de proposer une relation à la danse par l’image, sans forcément définir la nature de cette relation. Olivia avait très envie que l’on développe une dynamique en incitant des artistes chorégraphiques à imaginer des formes pour l’image. Souvent, la relation que les chorégraphes entretiennent à l’image se fait après coup : on fait un spectacle puis on le filme. Avec Faune, il s’agit de prendre le contre-pied, en concevant un projet chorégraphique à partir de l’image : le cadre ou l’écran comme une scène à investir. Dans le travail que j’ai mené avec Boris Charmatz, nous avons toujours essayé de faire en sorte que le film déplace l’objet chorégraphique, presque en repartant de zéro, comme dans Les Disparates : nous avions envie de sortir la danse de la scène, d’aller dans la ville, ou sur des terrils, comme dans Levée. Cette frontière intéresse également Olivia, et puis nous partageons aussi la question de savoir ce qu’il y a de chorégraphique dans le cinéma, le montage, le temps. Un désir d’aborder l’image de façon élémentaire. Le cinéma, c’est avant tout du corps dans des cadres.
Vos films glissent souvent entre les genres. Est-ce le sens de ce nom, faune, qui désigne en même temps une créature mythique et un ensemble d’espèces ?
Oui, la faune animale, la faune nocturne, les tribus : la faune, c’est ce qui échappe aux catégories. Ça correspond aussi au désir de ramener de la spontanéité dans le rapport à l’image, au geste de filmer, et de raccourcir au maximum le temps entre l’idée et le passage à l’acte, ce que font très bien tous les jeunes qui utilisent les réseaux pour atteindre une forme d’immédiateté, pour le pire et le meilleur d’ailleurs.
J’aime bien utiliser le terme de phénomène narratif, comme quelque chose qui serait commun à la danse et au cinéma. Les phénomènes narratifs sont souvent attachés à des styles, documentaire, fiction, mais je préfère ne pas en tenir compte et fonctionner de manière instinctive ; naviguer au coeur d’un même projet entre différentes sensations, pouvoir utiliser le texte dans l’image, créer des films muets mais sonores. Ces phénomènes narratifs, on les retrouve aussi bien dans des films écrits, produits par des artistes ou des chorégraphes, que dans des vidéos filmées dans sa cuisine et mises sur les réseaux. Cela fait partie des choses qui nous intéressent avec Olivia : arriver à identifier les choses de manière non hiérarchique, aller chercher de la danse consciente autant qu’inconsciente, aborder l’image avec une grande ouverture, même si ça n’empêche pas d’avoir une réflexion sur l’écologie comportementale de ces phénomènes propres à la consommation digitale.
Je ne peux pas m’empêcher de voir une forme d’archaïsme, au bon sens du terme, dans cette profusion.Même le selfie est une forme de point zéro. Le cinéma des origines filmait ce qu’il y avait devant l’objectif. Les frères Lumière filmaient leurs enfants, leur jardin, la sortie des usines Lumière, leur communauté affective. Là on se filme soi-même. C’est un changement de focale, un mélange de narcissisme globalisé et de primitivisme dans le rapport à l’objet. Avec Olivia, nous partageons un intérêt pour le mélange des pratiques, des compétences, comme quand on fait un groupe de rock sans savoir jouer de la guitare.
C’est ce que j’ai fait en dansant avec des danseurs ou des chorégraphes. Là, il s’agit d’inciter des chorégraphes à faire de l’image, sans forcément avoir de compétences dans ce domaine. Je pense que ça fait partie des missions d’un CCN de considérer la danse de la manière la plus large possible.
Faune va s’accompagner d’un site, www.ifaune.net, comme une manière de donner une visibilité à ce qui s’inventera dans le laboratoire ?
Oui, l’idée est celle d’un site conçu comme un espace d’exposition. À côté de ce qui sera fait dans le cadre de Faune, j’aimerais que soient montrées des oeuvres du patrimoine, issues de l’histoire de la danse, mais aussi du présent. Cela pourrait également donner lieu à une sorte de veille sur internet, pour repérer des films, des vidéos qu’il nous semble intéressant d’exposer. Et puis des matériaux au sens plus large, sociologiques, philosophiques, nourrissant cette réflexion. L’idée n’est pas de faire la leçon, mais plutôt de tisser des liens de manière curieuse : de mettre en relation des images historiques, contemporaines, issues du champ de l’art ou du champ populaire, de la sphère internet. Il y a aussi l’idée de rediscuter la notion de projection ( sur un écran ) et de diffusion ( depuis un écran numérique ). Il s’agit avant tout de donner envie de partager, de passer à l’acte, et faire le geste de venir au centre chorégraphique.
www.ifaune.net
www.a-fe.fr